Sortons un peu des sentiers battus avec ce panorama de textes féminins pour comprendre notre époque proposé par Philosophie Magazine. 23 penseuses pour 2023, ce sont 23 textes publiés dans la presse internationale en 2022 et surtout 23 femmes qui abordent des sujets dont les enjeux sont variés, de l'écologie en passant par l'amour, la guerre, le genre, le droit à l'avortement et tant d'autres sujets passionnants. Voici des extraits de ce volume qui ne donne volontairement que la parole aux femmes.
Le volume "23 penseuses pour 2023" de Philo magazine pourrait se résumer avec cette phrase : une sélection des meilleurs articles d'idées publiés par des femmes dans la presse internationale en 2022". La sélection a été réalisée par la rédaction du magazine avec des grands noms tels que : Manon Garcia, Rebecca Solnit, Naomi Klein, Kate Manne, Fang Fang et bien d'autres encore.
La préface nous interroge et nous explique le choix de la rédaction de ne mettre en lumière que des textes de femmes. "Les femmes pensent-elles (vraiment) autrement?" Telle est la question posée en introduction du volume philosophique de 200 pages environ. En citant les "Femmes savantes" de Molière en ouverture, les rédacteurs nous guident pour comprendre leur choix éditorial selon 3 axes :
Donner la parole aux femmes qui sont invisibilisées beaucoup trop souvent. Pour cela, ils se basent sur une citation de Rebecca Solnit : "Avoir une voix, ce n'est pas simplement avoir la capacité animale d'émettre des sons, mais pouvoir participer pleinement aux conversations qui façonnent notre société, nos relations aux autres ainsi qu'à notre propre vie. Pour avoir une voix, il faut trois choses : être audible, être crédible, être importante". C'est tout l'enjeu de ce volume.
Etre curieux des idées défendues par les essayistes, autrices, philosophes dans ces textes sélectionnés. Des femmes connues ou moins connues dont les idées peuvent faire avancer les débats, poser des questions, apporter des solutions.
Prendre au mot le courant féministe qui "défend l'idée qu'il y aurait une manière de voir et de penser le monde qui distingue les femmes des hommes."
Martin Legros, Octave Larmagnac-Matheron et Julie Davidoux interrogent ainsi l'objectivité et le relativisme. Ils partagent aux femmes et aux hommes des idées de femmes qui ont le mérite de balayer des sujets graves comme la guerre, essentiels comme les droits des femmes, actuels et profonds comme la grande "démission", urgents comme l'écologie... Que l'on soit d'accord (ou pas) avec toutes ces idées et ces opinions, elles ne doivent pas être niées ou censurées.
Mes textes préférés de ce volume et avis de lecture
Si je devais faire un classement de ces 23 textes, même si tous m'ont apporté des clés de compréhension pour chaque sujet, je sélectionnerais :
A Wuhan, ce que l'épidémie a changé, ce sont les gens de Fang Fang
Travail : une révolution culturelle est en cours de Monique Dagnaud
Comment prendre des décisions difficiles sans avoir peur de se tromper ? de Ruth Chang
La culture des armes à feu prend les victimes responsables de Rebecca Solnit
La mort d'un soldat dans la guerre en Ukraine racontée par sa soeur de Olesya Khromeuchuk
A l'âge des écrans, le regard est une ressource plus précieuse que le pétrole d'Annie Le Brun
#MeToo : en Chine aussi de Sara Liao et Rose Luqiu
Avortement : mon enfance dérobée de Marylin Maeso
Se libérer sans se séparer d'Agnes Callard
En France, le droit à l'avortement met en jeu la disponibilité sexuelle des femmes de Manon Garcia
Mais j'ai aimé (quasiment) tous les textes, que ce soit sur les réfugiés, un texte poignant d'Ashwini Vasanthakumar ou encore la culture du régime vue par Kate Manne. L'approche philosophique, les idées proposées, le point de vue féminin, les problématiques, les solutions, les propositions, tout est intéressant quel que soit le sujet et nous ouvre des horizons sur des injustices fondamentales qui ne sont pas que des combats féministes. Car rappelons, la quête de l'équité concerne aussi bien les femmes que les hommes. J'ai évidemment souligné mes passages préférés pour vous les partager.
Ps : Dans ma liste de lecture se trouvent de nombreux textes féministes, notamment "Beauté Fatale" de Mona Chollet qui sera ma prochaine lecture.
Voici des citations à retenir de 23 penseuses pour 2023
Je vous propose des extraits à méditer de ces 23 penseuses pour 2023 de Philosophie Magazine. Tous reviennent sur des droits fondamentaux, de vivre, de décider pour son corps, de choisir la non-violence et de défendre les opprimés... en pointant du doigt les responsables du grand chaos et en faisant appel au bon sens des lecteurs.
Naomi Klein
"Parce que le changement climatique, c'est la Terre qui nous dit que rien n'est gratuit ; que lire de la 'domination' humaine (blanche et masculine) est terminée ; que les relations unilatérales, où l'on pourrait se contenter de prendre, n'existent pas : que pour toute action il y a des réactions."
Rebecca Solnit
"Le Texas, tout en renforçant les restrictions sur l'avortement, les a progressivement relâchées sur les armes à feu."
"La culture des armes à feu me rappelle la culture du viol, notamment lorsqu'elle rend les victimes, et non les auteurs, responsables de la limitation de la violence."
"Si les armes sont des icônes, c'est parce que la violence est un sacrement défendu comme un droit et une identité."
Anna L. Tsing
"La vanité de la modernité, et ce depuis le milieu du XIXe siècle au moins, consiste en partie à prétendre qu'il n'y a rien à regretter. Que construire toutes ces choses ne mène qu'à un monde meilleur, et qu'il n'y a pas à prêter attention à ce qui se produit autour de nous peu importe ce que peuvent engendrer ces choses que nous avons construites."
Annie Le Brun
"Désormais, l'image ne montre plus, elle se montre, pour faire de chacun de ses regardeurs à la fois un objet de profit et un objet de surveillance. En résulte une nouvelle économie du regard, devenue une énergie infiniment plus précieuse que le pétrole parce qu'infiniment renouvelable." Extrait du texte original : "Dans l'illusion d'une liberté sans limite.
Sara Liao et Rose Luqiu
"Ce n'est que fin 2018 que la Cour populaire suprême de Chine a inscrit le harcèlement sexuel comme motif de poursuite civile."
Marylin Maeso
"On refuse (à une fillette, une adolescente ou une femme) le droit à l'autodétermination dont jouissent inviolablement ses congénères masculins ... et on mène 'une lutte acharnée et millénaire pour le contrôle du corps des femmes."
"Dans une société où l'avortement est un crime, être une femme, c'est être à disposition. Dans un pays qui élève la liberté au rang de droit humain le plus sacré, l'abolition de ce droit est donc la négation de l'humanité des femmes, puisque leur liberté de choisir l'existence qu'elles veulent mener est toujours révocable."
"Pas de liberté, ni d'égalité, sans droit à l'IVG."
Wendy Brown
"Une fois que l'éducation n'a plus pour but de créer une démocratie éduquée mais plutôt un investissement individuel dans un revenu et un avenir, vous commencez à perdre la capacité d'éduquer les citoyen à la citoyenneté."
Agnes Callard
"Le sexe sans l'amour, l'amour sans les rencontres, les rencontres sans le mariage, la polygamie, le relâchement des rôles de genre : notre mode est en train de devenir le Far West des relations amoureuses. Nous vivons une époque de grande liberté romantique, mais nous n'en avons pas encore mesuré le prix."
"En éliminant les normes sociales qui guident nos attentes en matière de relations amoureuses, nous libérons également un monstre en nous. Le nom de ce monstre est Éros."
Elle cite Phèdre de Platon pour définir ce monstre intellectuel comme "le désir irraisonné qui surpasse l'impulsion réfléchie d'une personne à faire le bien et qui est poussée à prendre plaisir à la beauté, sa force étant renforcée par ses désirs similaires pour la beauté des corps humains - ce désir, conquérant dans son élan puissant, tire son nom du mot pour force (rhōmē) et est appelé éros."
Manon Garcia
"Si l'on attend d'avoir des femmes d'être disponibles aux désirs sexuels des hommes, la contraception et l'avortement permettent à ces hommes de ne pas risquer les devoirs, au moins financiers, de la paternité."