L'essai féministe Beauté fatale de Mona Chollet démonte les canons de beauté, les techniques marketing qui fonctionnent aussi bien sur les adultes que sur les enfants. Publié en 2012, il est plein d'exemples qui dérangent. Et à peine plus de 10 ans plus tard, les beautés fatales sont partout, s'exhibent, chez les femmes comme chez les hommes.
On voit des corps nus partout. Des corps huilés, sexys, des femmes qui "assument" leur nudité, montrent leurs atouts sur les réseaux sociaux et ne se rendent presque pas compte qu'elles adhèrent à fond à ce que la société attend d'elles : qu'elles soient comme des affiches et désirables. Et le bistouri est de plus en plus utilisé pour changer les corps et les visages, malheureusement pas le fond de l'âme. Ce qu'explique Mona Chollet dans cet essai "Beauté fatale" publié en 2012 a pris encore plus d'ampleur ces dernières années. Voici un résumé, des extraits et un avis de lecture.
Quelle est la thèse défendue par Mona Chollet dans Beauté fatale ?
Ah ne l'avons-nous pas entendue comme une rengaine depuis que nous sommes enfants cette petite phrase : "il faut souffrir pour être belle ?" Petites filles, n'avons-nous pas joué avec des Barbies, coiffé des têtes de poupées, regardé les princesses de Walt Disney, utilisé le maquillage de maman (et pour ma part aussi le rasoir de papa) ? Ne sommes-nous pas baignées dans un monde où la beauté est érigée en valeur universelle, plus que la liberté et la fraternité ? Ne sommes-nous pas dans un monde ou l'apparence prime sur le reste ? Où l'habit fait le moine ?
C'est tout ce que décrie Mona Chollet dans son ouvrage "Beauté fatale". Dans cet ouvrage, elle nous parle de cette beauté comme une arme, comme un atout et comme un handicap, pire comme d'une menace mortelle. Car selon elle, les femmes (généralisation pour la critique sociale) y sont soumises, vulnérables, habituées, conditionnées, dès le plus jeune âge. Elle y décrypte le marketing et le Brand Content des marques de luxe qui nous vendent du rêve, du faux. Elle nous parle de ce formatage de la beauté, qui doit correspondre à des codes : notamment de blancheur et de minceur.
Publié en 2012, cet essai féministe alertait déjà sur ce à quoi nous sommes désormais spectateurs ou acteurs : le dictat de la beauté et ce, sur les réseaux sociaux, dans la rue, dans les journaux, sur les plateaux. On voulait y revenir et aller plus loin avec cette image lisse de canon de beauté, à l'image travaillée. On veut toutes (ou pas) devenir l'égérie d'une marque comme ces actrices de Chanel, Dior et d'autres : être remarquée. On veut toutes (ou pas) devenir une autre personne, ou plutôt changer notre physique, avoir les cheveux lisses ou plus bouclés, la peau plus bronzée ou plus claire, le nez plus fin, les jambes plus grandes, le visage comme un filtre Snap Chat ou Instagram (keskefoufoutezladessusencore?????), ou pour ressembler à Kim Kardashian, Angelina Jolie, Barbie... On est donc soumises sans le savoir à un rapport malsain à notre corps, un rapport qui a des effets terribles.
Comme les légumes moches (sauf ce brillant coup marketing et écolo d'Intermarché qui les vend au lieu de les jeter), celles et ceux qui ne rentrent pas tout à fait dans les critères sont jetés à la poubelle. Une société toxique de beauté qui devient fatale, car fatalement, on doit être beau, belle, pour réussir et si on s'y prend trop bien on peut mourir (sur la table d'opération ou de dénutrition...).
En 2023, il est possible de voir les choses sous un autre angle. Les marques proposent de nouveaux modèles, plus humains, avec ce qui aurait été qualifié de défaut par le passé. Un coup de marketing de plus et ça ne prend pas toujours car ces marques finissent quand même par être attaquées par les promoteurs de la minceur morbide: "si vous utilisez des mannequins avec des formes, vous incitez l'obésité" ai-je pu lire dans un témoignage d'une créatrice mode. Mes 70 kilos, ma gourmandise, ma cellulite et mon petit double menton quand je rigole font que je ne rentre pas dans la cible des marques qui font la promotion de nanas maigres qui font la tronche. Et je porte des jupes, des pantalons, j'achète des produits de luxe parfois, j'aime l'altérité et les hommes (surtout ceux qui comprennent un peu le sujet de fond), mais je n'aime pas l'iniquité.
Les consommatrices que nous sommes, ne se sentent plus connectées à ces femmes "parfaites". On veut des formes, des grains de beauté, des dents du bonheur, on veut tout voir des femmes et pas "une femme objet". Alors les marques nous les montrent un peu : peau d'orange, les vergetures... Même s'il y a des limites et que les bonnes intentions dérapent parfois.
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Petit exemple, une mannequin plantureuse et magnifique devait défiler pour Etam, le hic? Impossible pour elle de marcher sur des talons aiguilles qui ressemblaient plutôt à des lames qu'à des chaussures. La marque (que j'aime bien malgré tout) au lieu de la faire défiler quand même, pieds nus, en sneakers, ou même en pantoufles, que sais-je, l'a simplement déprogrammée du défilé : "ça va pas être possible si tu sais pas marcher avec des talons." Cette scène ridicule est passé à la télé dans un reportage sur M6 ou TF1. Et ça, ça m'a fortement dérangée. Parce que, les baskets, ce n'est pas moins sexy que des talons aiguilles et c'est plus pratique pour marcher. Ça évite que les mannequins se cassent la gueule devant tout le monde parce que la chaussure ne leur permet pas de marcher (ce qui est pourtant son usage normalement, non?). On est encore dans le mythe de la femme sexy qui porte des talons aiguilles pour faire le ménage. C'est toute une mise en scène et même c'est l'écroulement de cette beauté factice, justement lorsqu'un mannequin tombe de son piédestal à cause de la marque pour laquelle elle se prive de nourriture (trop souvent). Je ne rêve pas de ça, ça ressemble plutôt à un cauchemar.
Mona Chollet avait bien capté cette tendance. Et même si son livre date un peu, il est fondamental, il pose les choses sur cette beauté marketing fatalement inaccessible (et inacceptable). Et me revient en tête cette autre petite phrase comme un dicton : "sois belle et tais-toi!" qui pourtant cherche à dire le contraire, mais on en retient ce qu'on veut...
Pour résumé ce billet, qui pourrait être beaucoup plus long tant le sujet est vaste et consternant, Mona Chollet qui est journaliste, et a longtemps travaillé au Monde diplomatique, propose dans "Beauté fatale" un texte explosif sur l'anorexie, le bistouri, la publicité, le marketing, le cinéma, les médias... En bref, un texte sur l'aliénation des femmes (et de leur corps) qui se transmet de génération en génération.
Fort heureusement, on a vu du mieux, on voit aussi du pire. Et c'est pour cette raison que ce texte doit être lu et partagé et que je vous en propose des extraits. On n'a pas besoin d'être en accord avec tout ce que démontre l'autrice, mais, il faut "appeler un chat un chat". On ne peut pas vous dire qu'un chat, en vrai si on réfléchit bien, c'est quand même un chien. Enfin vous voyez le raisonnement. C'est un peu ce genre de raisonnement qui essaie d'éteindre la voix des femmes : "calmez-vous gentes dames il n'y a plus de combat à mener ! Vous avez tout maintenant, une relative présence dans les hautes sphères, un emploi, un compte en banque, votre droit à l'avortement et votre pilule (même si la pilule abortive est parfois en rupture, elle ne fait partie des médicaments qu'on compte relocaliser prioritairement en France).
Ah, tout ça est bien logique et... cynique.
Beauté fatale de Mona Chollet citations de cet essai féministe
"La célébration des 'rapports de séduction à la française', (...) traduit le désir de maintenir les femmes dans une position sociale et intellectuelle subalterne."
"Une règle immuable veut que, lorsqu'un groupe social se vit - à tort ou à raison - comme assiégé, agressé, menacé dans son identité, il renforce les contraintes qu'il exerce sur les deux sexes et en particulier son contrôle sur l'allure et le comportement de 'ses' femmes".
"Le sociologue Pierre Bourdieu définissait la jupe comme 'un enclos symbolique'".
"En 2004, le député qui, à l'occasion du bicentenaire de la naissance de George Sand, voulut faire abroger l'ordonnance de la préfecture de Paris interdisant aux femmes de s'habiller en homme essuya un refus, au prétexte troublant que 'la désuétude était manifeste'".
Les hôtesses de l'air d'Air France "n'ont conquis leur droit au pantalon qu'en 2005".
"Ce n'est pas le vêtement en lui-même qui pose problème : c'est l'assignation à un vêtement et, à travers lui, à un certain rôle."
"Dans un monde défiguré, pollué, tenaillé par la peur (...) notre apparence, comme l'agencement et la décoration de notre cadre de vie, est au moins quelque chose sur quoi nous avons prise."
"Ces mises en scène ne font après tout que traduire notre avidité sans bornes pour un idéal féminin associé toujours plus étroitement à la jeunesse et à la fraîcheur."
"La société néglige les désordres créées par "l'inégalité des rôles esthétiques" entre les femmes et les hommes."
"De nombreuses femmes sont exaspérées de se voir réduites à leur apparence et constatent avec une certaine frayeur à quel point elles ont une conscience aiguë des regards posés sur elle."
"Ils ne peut y avoir de critique sociale sans un minimum de généralisation."
>>Lisez aussi ce petit condensé de pensée féminine proposé par Philosophie Magazine avec les 23 Penseuses pour 2023.
Mona Chollet et ses essais féministes engagés
La journaliste et autrice Mona Chollet a longuement travaillé sur le féminisme et a publié de nombreux ouvrages pour décrire les arches narratives du machisme et du patriarcat... et les déconstruire. On la connaît notamment pour son essai "Sorcières - La puissance invaincue des femmes" (2018) ou encore "Réinventer l'amour - Comment le patriarcat sabote les relations hétérosexuelles" (2021).
Dans ce thème, je ne peux que vous recommander de lire Titiou Lecoq et son essai "Les Grandes oubliées - Pourquoi l'Histoire a effacé les femmes" publié chez l'Iconoclaste (2021) qui revient aussi sur cet effacement de l'intellect des femmes, sur l'Histoire qu'on nous raconte pour justifier la violence faite aux femmes et cette haine presque viscérale qu'on oppose au deuxième sexe. Ceci explique cela... Il suffirait de lire et de s'y intéresser d'un peu plus près et de quitter (au moins un jour ou deux) les réseaux sociaux qui disent et montrent tout et son contraire et ne font pas que du bien à la société.
Petit cadeau pour mieux comprendre, le style, les références, la plume, la femme : son blog >> La méridienne.