Prix Goncourt des lycéens 2022, "Beyrouth-sur-Seine" de Sabyl Ghoussoub est un texte poignant sur la guerre du Liban et son impact sur les familles : les Libanais déracinés, exilés et ceux qui restent au pays, sous les bombes. L'angoisse de ces familles qui vivent dans la violence et qui malgré tout s'accrochent à l'amour, au téléphone, à WhatsApp pour communiquer et faire vivre le lien.
Les lectures nous nourrissent. Ce livre de Sabyl Ghoussoub m'a appris beaucoup de choses sur la guerre au Liban. Une guerre "dégueulasse" comme la décrivent les parents de l'auteur qu'il interroge tout au long de ce livre. Cet auteur né en France de parents libanais raconte sa "libanité", ses liens avec sa famille, avec l'écriture. Ses parents sont les héros de ce texte. Il les immortalise. C'est certainement une des raisons pour lesquelles il a obtenu le prix Goncourt des lycéens en 2022.
L'histoire de Beyrouth-sur-Seine de Sabyl Ghoussoub
Vous connaissez certainement mon intérêt pour la guerre en Algérie. Plus largement, je cherche à saisir ce qui pousse les hommes à tuer d'autres hommes. Je n'arrive toujours pas à comprendre, la torture, les viols, les morts. J'ai ainsi été bouleversée en lisant la guerre du Biafra dans le livre de Chimamanda Ngozi Adichie : "L'autre moitié du soleil". Car ce qui est terrible, c'est qu'on accumule les guerres, partout, tout le temps. Comme si la fraternité et l'amour ou encore la tolérance étaient des mots dénués de sens.
Dans son livre, Sabyl Ghoussoub, dont le prénom signifie "la source", "le chemin", le lecteur se plonge dans la guerre du Liban à travers les yeux d'une famille exilée à Paris. Pour ceux qui ne connaissent pas le Liban, ni les dates clé de la guerre, ce récit peut être déroutant. D'autant que l'auteur lui-même estime qu'analyser, au fond, est une perte de temps. On se perd dans les clans, les camps, les dates des attentats, le nombre de morts. Toutefois, il nous les livre, à ceux qui ne les connaissaient pas, notamment les massacres de Sabra et de Chatila...
L'auteur, qui est également journaliste, souligne les temps forts, raconte sa famille. Il y a une approche géopolitique avec des explications bienvenues des relations avec la Syrie, Israël ou encore l'Irak. Il nous parle du monde arabe, des relations entre les pays, des enjeux politiques, financiers. Ce qui nous touche surtout, c'est qu'il donne la parole à ses proches, sa mère, son père, sa soeur, ses oncles.
Sabyl Ghoussoub ne revendique rien. Il ne fait pas de politique, il observe, il détaille. Il raconte le rapport à la famille, loin. Il raconte sa place en France, celle de ses parents, les démarches administratives pour obtenir un titre de séjour, puis la nationalité française. Il nous raconte en plusieurs parties et en chapitres fluides et courts des épisodes de sa vie. Des sentiments, des impressions, des témoignages. Ce texte est truffé de références littéraires ou picturales et de références historiques. On y perçoit la plume du journaliste avec celle de l'écrivain.
Ce qui est émouvant dans ce texte, et qui est universel, c'est l'amour du fils pour ses parents. C'est l'envie de transcender une histoire terrible, de la magnifier. D'offrir un livre à ses parents. Un hommage. De leur donner la parole, eux qui ont tout quitté, qui ont tout perdu en quittant leur pays. La mer est loin, mais la mémoire reste. La mémoire des jardins, des villages et c'est ce qui le pousse à s'y installer quelque temps. Ce qui nous touche, ou plutôt qui me touche, car ma maman est née à Alger et a quitté ce pays au moment de l'indépendance algérienne en 1962, c'est ce récit sur des parents déracinés, exilés et leur reconstruction, un peu bancale, en France. Les deux conflits ne se ressemblent pas, pourtant, l'exil, lui, est le même.
Citations du livre Beyrouth-sur-Seine
"En interrogeant mes parents, je ne souhaitais pas leur faire du mal."
"J'exècre par dessus tout lorsque les écrivains se mêlent de politique dans leurs écrits."
"Pourquoi étais-je tombé dans le panneau de me prendre au sérieux?"
"A croire que la réalité est toujours la fiction qu'on se raconte."
"Mes références viennent d'ailleurs et beaucoup du monde arabe, pourtant j'ai grandi en France. J'ai alors l'impression bancale d'avoir grandi ailleurs tout en ayant grandi ici."
"L'armée israélienne a imposé aux habitants de Beyrouth-Ouest un blocus d'une violence rare qui restera ancré à jamais dans la mémoire des Beyrouthins."
"Pour mon père, la rue des Rosiers, c'est l'attentat du 9 août 1982."
"La vie de mes parents, c'est comme la guerre du Liban. Plus je m'y plonge, moins j'y comprends quelque chose."
"Finalement, à quoi bon ? Qu'est-ce que cela m'apporterait de tout savoir, tout comprendre, tout analyser ? Rien, je crois fondamentalement que je n'y gagnerais rien, à la limite je perdrais mon temps."
"Aller à l'encontre des siens me semble être l'une des seules positions politiques respectables."
"Après le départ des Israéliens, une guerre fratricide entre chrétiens et Druzes à coups de massacres et de siège sanglant dans la montagne a fait fuir des milliers de chrétiens."
"Mon père n'est d'aucun milieu, d'aucun monde. Mon père est un homme seul, dans ce que la solitude a de plus grand. Je l'admire, mon père. Un jour, je deviendrai muet comme lui."
"Le peintre tourne tout en merveille : l'horreur, les massacres et la mort."
"Je suis déraciné, d'autres ne le sont pas. C'est ainsi."
"A chaque fois que le Liban est touché par un attentat, une explosion ou une guerre, j'ai l'impression que l'on vise mes parents et ça, je ne le supporte plus."