Certains livres vous tombent dans les mains, et vous ne savez plus quoi en faire. Vous pensez que la lecture sera pénible, que vous n'allez pas réussir à "rentrer dedans". La vie clandestine (Gallimard, 2022) vous emporte dans une enquête, sur Action directe, mais aussi sur la mémoire, notamment sur la vie intime et familiale de Monica Sabolo, l'histoire dans l'histoire.
Avec ce livre, vous en apprendrez plus sur le groupe terroriste Action Directe, son organisation, ses membres, ses combats... mais aussi sur la vie de l'autrice. Sur la mémoire aussi.
A travers ces pages, publiées chez Gallimard, vous vous sentirez plus proche que jamais d'une époque, celle des années 70/80, en France, mais aussi en Italie où Monica Sabolo est née, à Milan. C'est ce que permet la littérature, traverser les époques, au présent.
Ce livre est magistral (il est peut-être à ajouter dans la liste des 10 romans incontournables), il est difficile à lire, tant il est plein d'humanité. Elle nous interroge à travers les pages, nous pousse à essayer de comprendre les autres de regarder derrière les masques ce qu'on trouve d'humanité... Et cette confession terrible au coeur de l'ouvrage.
Dans La vie clandestine, on suit à la trace l'enquêtrice, l'autrice, la petite fille abusée, la femme... et ces personnages, victimes et coupables, on découvre cette époque et son lot de drames, ces vies brisées et ce temps ne passe pas.
Voici des citations La vie clandestine de Monica Sabolo que j'ai beaucoup aimé, même si j'ai rarement mis autant de temps à lire un livre... C'était certainement le temps nécessaire à sa lecture. Nul doute, vous trouverez certaines citations très jolies, d'autres très vraies. Terriblement vraies.
Des citations La vie clandestine de Monica Sabolo
"Quelle question poseriez-vous, s'il n'y en avait qu'une ? Qu'inscririez-vous sur un tout petit bout de papier ?"
"On dirait que l'absence (...) appartient au territoire que j'habite."
"Nos souvenirs sont des souvenirs de souvenirs."
"Pour quelle raison ont-elles fait ça ? Que cherchaient-elles ? Je ne réalise pas, alors, que la véritable question est : Qu'est-ce que, moi, je cherche vraiment ?"
"Je suis seule dans un univers parallèle, mais rien ne pourra m'être reproché. Je suis terrifiée à l'idée que l'on puisse lire dans mon coeur, entrevoir ce qui le constitue, ce qui n'a pas de nom, pas de contours, mais que je porte en permanence, tel un animal endormi."
"Elle ne pense qu'à l'amour. Et son énergie n'est consacrée qu'à un seul objectif : ne pas s'effondrer."
"Ce qui reste, ce sont nos mémoires, et nous racontons, tous autant que nous sommes, n'importe quoi."
Monica Sabolo cite ensuite ces vers d'Aragon :
"Toute mémoire est une eau trouble.
Que voulez-vous que l'on y voie.
Si lentement que l'on s'y noie..."
Ce passage me fait penser aux écrits sur la mémoire et la condition féminine d'Annie Ernaux Prix Nobel de littérature 2022 (la première femme française depuis 1901... date de la création du célèbre prix) que je vous recommande chaleureusement. Ou encore à Alice Zeniter dans Toute une moitié du monde qui revient (entre autres) sur tous ces prix littéraires où les femmes ont très souvent été laissées sur le banc de touche. Il n'y a d'ailleurs au passage qu'à s'intéresser à l'utilisation des mots "auteure" ou "autrice" qui fait polémique depuis des siècles.
"Le passé est là, mais personne ne peut l'atteindre, il se balance dans un filet invisible."
"Nous nous racontons une histoire, puis nous la réécrivons, au fil du temps. Ce spectre fantasque s'appelle la mémoire."
"Le roman se dessine, un monde parallèle dans lequel on pénètre par une porte minuscule, celle d'une boîte à lettres, ouvrant sur un autre univers, plus vivant que la vie."
"J'aimerais lui demander comment on fait pour vivre hors de la fiction, pour habiter le réel et le présent."
"On dirait qu'il parle d'amour, ou de littérature. De ce point qui brille, là-bas au loin dans l'obscurité, un lieu où l'on serait à la fois compris, aimé, et vivant."
"Je nourris la même conviction que ma mère : l'amour est la seule chose intéressante à vivre, la seule qui puisse nous sauver."
"L'amour était ce lieu clandestin où je me promenais seule."
"L'existence de chaque partie tient à l'existence de l'autre. Autour d'eux, la ville et le réel se floutent, il n'y a plus que ce face-à-face, une liaison entre deux amants vivant dans l'imaginaire l'un de l'autre, inventeur d'un langage échappant au commun des mortels, voyageant sur des ondes qui n'appartiennent qu'à eux."
"Les membres d'Action directe aiment citer cette phrase de Bertolt Brecht : "Qu'est-ce qui est le plus moral : créer une banque ou l'attaquer ?"."
"Je sais désormais que le temps passe, et ne passe pas."
"Je n'ai aucune volonté concernant ce texte, c'est lui qui décide apparemment. Il occupe le terrain tel un despote, il est vivant et je suis sa créature."
"J'ai trouvé un répit, un lieu baigné de lumière, comme au seuil d'une caverne. J'ai peur de m'approcher. Peur de faire face au noir profond, qui glace le sang, mais aussi peur de la douceur, de la fragilité et de l'humanité caché dans ce noir. Voilà le plus terrifiant : rencontrer dans l'obscurité ce qui vous constitue."
"Au-delà de l'incompréhension apparaissent la condescendance et le sarcasme, qui permettent de tout simplifier, de ne pas s'interroger sur le fond."
"Le pardon ne relève pas de la transaction."
"Je m'entretiens avec les livres, ceux que je lis, ceux que j'écris, loin, très loin des vivants."
"Il n'y a pas d'âge pour combattre l'injustice."
"Ne vous approchez pas trop du coeur d'autrui, vous ne serez jamais plus sûr de rien."
"Je cours après une histoire engloutie à la suite d'un tremblement de terre ou d'un raz-de-marée. Elle ressemble à celle de l'humanité entière."
Mieux comprendre l'autrice avec ses mots
Et pour finir, et pour mieux comprendre le coeur du livre et de l'enquête, voici une vidéo de Monica Sabolo sur sa propre lutte clandestine pour aboutir à ce livre, qui est d'une sensibilité, d'une douceur terrible.