Publié en 2006, "Les Sirènes de Bagdad" de Yasmina Khadra est un roman poignant, et difficile à lire en raison des thèmes guerriers abordés. On assiste à l'enrôlement d'un Bédouin de 21 ans dans la résistance et le terrorisme, passant du village de Kafr Karam, à Bagdad et Beyrouth. Un homme calme, cultivé et pieux qui change complètement de personnalité après plusieurs bavures militaires. Ce qu'il veut? Laver l'honneur de sa famille dans le sang des GI qui piétinent l'Irak, "ratonnent" les enfants et tuent les paysans. Voici des citations et un avis sur ce roman.
On n'entend plus "Les Sirènes de Bagdad", qu'il s'agisse des ambulances ou des chants ancestraux. Les luths sont détruits, les Bédouins sont traqués, les familles se meurent. Dans ce roman de Yasmina Khadra, l'obscurantisme et le fanatisme sont mis à nu. Il s'agit pour l'heure du dernier livre de Yasmina Khadra sur ma liste de lecture. Les thèmes étant particulièrement durs et la prose emprunte de violence, même s'il y a des zones de lumières, je fais une petite pause. D'autant qu'il me reste du pain sur la planche avec d'autres auteurs, comme Tolstoï avec Guerre et paix. Toujours des sujets joyeux, mais ô combien importants.
J'aime le style de Yasmina Khadra, cet auteur algérien qui est un ancien militaire. Ce passé dans les forces armées algériennes se ressent à chaque ligne. L'auteur décrypte la violence, la dévoile dans toute sa cruauté, presque mécaniquement. Il ne s'appesantit pas sur les sentiments quand il y a de l'action, il va droit au but. Il fait évoluer l'intrigue et le caractère de ses personnages qui sont prêts à en découdre avec le monde entier pour sauver leur pays. On assiste à la dualité d'un peuple, entre ceux qui veulent aller au combat et ceux qui estiment que ces derniers sont des assassins, pas des résistants.
Tout commence dans le désert où les tribus sont en paix. Elles vivent loin de la guerre, jusqu'à la guerre se manifeste avec des missiles lancés sur des mariages, jusqu'à ce qu'on abatte un simple d'esprit sans raison, jusqu'à ce qu'on mette à terre les aînés, qu'on fasse outrage aux anciens. Plus rien n'a alors de sens. Et la seule réponse est de se résigner ou de prendre les armes. De tout faire sauter, au prix de sa vie.
Un thème obsède l'auteur, comment devient-on terroriste ou plutôt "fedayin" dans ce cas précis? D'un côté, il l'explique, le comprend, le justifie avec des éléments factuels: la pauvreté, la situation géopolitique, le scandale de la guerre, l'honneur... et d'un autre, il le condamne. Car selon Yasmina Khadra "le plus grand des sacrifices, et sans doute le plus raisonnable, est de continuer d'aimer la vie malgré tout." Comme nous le conseille Romain Gary dans "La vie devant soi", publié en 1975 sous son pseudo "Emile Ajar", qui a obtenu le prix Goncourt. Un roman qui pose cette question : peut-on vivre sans amour? La réponse serait celle-ci : "il faut aimer". Et les écrivains ne cessent de l'écrire. Toutes les vies comptent.
Les Sirènes de Bagdad de Yasmina Khadra : qui sont les personnages de ce roman ?
Dans ce roman, le personnage principal est un jeune homme d'à peine 21 ans né dans un village perdu d'Irak. Il a de nombreux cousins qui, comme lui, vont partir à Bagdad pour combattre l'oppression occidentale. Il croisera Omar, Sayed, Yacine et les deux jumeaux, Hassan et Hossein. Tous ces protagonistes n'ont pas le même rôle, certains sont leaders, d'autres victimes ou bourreaux. Et au sein d'un même groupe, on peut se haïr mortellement, même si l'on se bat pour la même cause. Deux personnages sont particulièrement intéressants, le Dr Jalal et le romancier, son ami, Mohammed Seen. D'ailleurs, ce dernier n'est peut-être qu'un "porte-plume" de Yasmina Khadra...
Quels sont les thèmes abordés dans les Sirènes de Bagdad ?
"Les Hirondelles de Kaboul" (2002), "L'Attentat" (2005) et "Les Sirènes de Bagdad" (2006) forment une trilogie qui revient sur l'opposition entre l'Orient et l'Occident. Dans ces romans, la violence est à son comble, et selon moi ce dernier livre est particulièrement terrible. Ce livre est un peu l'extrême opposé de la résistance décrite par la journaliste franco-iranienne Delphine Minoui dans son livre "Les passeurs de livres de Daraya, une bibliothèque secrète en Syrie". Pour survivre au siège de la ville, un groupe d'habitants se plonge dans les livres dans une pièce obscure. Car on peut détruire une ville, mais pas ses idées. "La guerre est perverse, elle transforme les hommes, elle tue les émotions, les angoisses, les peurs. Quand on est en guerre, on voit le monde différemment. La lecture est divertissante, elle nous maintient en vie. Si nous lisons, c’est avant tout pour rester humain", peut-on lire dans ce beau livre qui date de 2017. Dans "Les Sirènes de Bagdad", les personnages ne décident pas de résister en lisant, ils prennent les armes et veulent tout détruire pour vaincre l'Occident.
Lire pour combattre l'ennemi. Cultiver les têtes plutôt que de les couper (référence approximative au roman "Claude Gueux" de Victor Hugo publié en 1834). Où en sommes-nous aujourd'hui? Vivre libre, qu'est-ce que c'est ? Mourir en martyre ? Ce livre nous enseigne qu'il faut regarder les lumières des villes et se détourner des ombres...
Citations Les Sirènes de Bagdad de Yasmina Khadra
"Je n'ai pas besoin de regarder derrière moi pour avancer. Ce sont les horreurs d'hier qui me poussent de l'avant."
"Parce qu'ils adhéraient aux valeurs occidentales, ils prenaient pour argent comptant ce qu'on leur susurrait à l'oreille : liberté d'expression, droits de l'homme, égalité, justice... des mots grands et creux comme les horizons perdus. Mais tout ce qui brille n'est pas or."
"Regarde ce qu'ils ont fait de notre pays : un enfer."
"Le monde est géré par la Finance internationale pour laquelle la paix est un chômage technique."
"Que sont devenus les croyants ? Des gens qui se rendent machinalement à la prière et puis retournent dans l'illusoire une fois l'office terminé. Ce n'est pas ça la foi."
"En perdant la foi, nous avons perdu nos repères et le sens de l'honneur."
"D'aucuns n'auraient sur dire à quoi servent les rêves lorsque les horizons sont nus."
"Comme dit le proverbe ancestral, si tu fermes ta porte aux cris de ton voisin, ils te parviendront pas la fenêtre; Car nul 'est à l'abri lorsque le malheur est en vadrouille."
"L'erreur est humaine, et la fatalité a bon dos."
"Une brute reste une brute, même avec le sourire ; c'est dans le regard que l'âme décline sa vraie nature."
"J'étais déchiré entre le besoin de conjurer mes démons et celui de les couver."
"Qui se nourrit de la lâcheté des autres, engrosse la sienne ; tôt ou tard, elle finira par lui bouffer les tripes, puis l'âme."
"Quand on n'a rien, on fait avec - question de mentalité."
"Les hommes ne sont que de furtives prouesses, de longanimes supplices, des Sisyphes innés, pathétiques et bornés : ils ont la vocation de subir jusqu'à ce que mort s'ensuive."
"Il faut savoir renoncer aux peines des autres : elles ne sont bonnes ni pour eux ni pour toi."
"On ne naît pas brute, on le devient ; on ne naît pas sage, on apprent à l'être."
"La dignité ne se négocie pas."
"Notre cause est juste, mais on la défend très mal."
"Ça a toujours été ainsi ; quand on ne trouve pas un sens à un malheur, on lui invente un coupable."
"Ma chambre est peuplée de fantômes et d'absents."
"N'est jamais seul celui qui marche vers la lumière."