Basé sur des faits réels, extrêmement précis et documenté, le roman de Vincent Ejarque porte sur la création de l'OAS (Organisation de l'armée secrète), son fonctionnement, ses actions et la fin de l'Algérie française. "Les spectres d'Alger" aux éditions Ramsay est le premier roman du journaliste.
Décrire la fin de l'Algérie française, c'est se plonger dans un bain de sang. Les hommes désespérés sont parfois les plus violents ou dangereux, ai-je lu quelque part. Vous connaissez l'intérêt que je porte à la guerre en Algérie et j'ai découvert ce roman "Les spectres d'Alger" dans la presse lors de l'annonce de sa sortie en librairies. Pour moi, ce sujet est effectivement devenu une obsession. Une lourde obsession. Et je m'enquiers toujours des dernières nouvelles, sorties littéraires sur le sujet ou de toute information qui pourrait m'aider à mieux comprendre ce sujet.
J'ai été intriguée et attirée par le mot "spectres" du titre. A mes yeux, la guerre d'Algérie, ce sont des ombres qui nous suivent encore aujourd'hui. Les mémoires ne sont pas apaisées et ne sont pas toujours réconciliables. On sait que la guerre est violente, mais la barbarie des différents camps opposés lors de celle-ci dépasse l'entendement. Les ombres de la guerre d'Algérie nous hantent toujours, elles sont bien vivantes.
Dans ce texte d'environ 400 pages, le journaliste Vincent Ejarque, nous plonge dans les rangs de l'OAS, une armée clandestine composée de putschistes en cavale qui ne reculèrent devant rien pour maintenir la France en Algérie. Salan, Sussini et tant d'autres, ont mis le feu à l'Algérie qui se battait depuis des années pour son indépendance. Ces derniers ont finalement été amnistiés malgré l'abomination de leurs actes, par la loi du 24 juillet 1968... On comprend donc que l'Etat a mis moins de temps à accorder sa grâce à des criminels de guerre qu'à reconnaitre officiellement la guerre en 1999 et donc de s'occuper des pensions des soldats déployés ou à reconnaître le droit des victimes d'avoir une pension en 2018. Peut-être aussi parce que le gouvernement comprenait ces hommes qui avaient défendu la France, et qu'il valait mieux passer à autre chose. Mais on se demande quand même, un peu comme dans un des articles de presse en encart dans ce roman, si le mot "honneur" a encore un sens ou si avoir le sens de l'honneur existe encore.
Sur ma liste de lecture, pour mieux cerner la période, j'ai également leurs mémoires de guerre à lire, celles de de Salan notamment ou encore de Massu et d'Aussaresses. Je n'arrive pas à m'y mettre. On se demande bien pourquoi. D'autres écrits découverts récemment à la lecture du dossier "FRANCE-ALGERIE, secrets de famille" de la revue XXI achetée il y a plus dix ans, et que je n'avais pas pris le temps de lire, vont venir s'installer dans ma bibliothèque et allonger ma liste de lecture, je pense par exemple à ces textes :
Les hommes qui marchent de Malika Mokeddem
La trilogie (L'incendie, La grande maison et le métier à tisser) de Mohammed Dib
La grotte éclatée de Yamina Mechakra
Mais revenons-en au roman "Les spectres d'Alger" avec des citations et des explications sur cette lecture.
L'OAS en Algérie, le récit d'un naufrage
Après l'Indochine, certains soldats français ont été rappelés en Algérie, d'autres plus jeunes et à peine formés y ont été envoyés pour leur service militaire. Des soldats chevronnés et des soldats novices ont eu pour mission de maintenir l'ordre en Algérie, de pacifier. Et ce, pour pas très cher et avec des moyens discutables (il fallait voir les conditions de vie de ces soldats). C'était sans compter sur l'amertume de l'échec de l'armée en Indochine (lire "Le Huitième Soir" d’Arnaud de La Grange). Pour certains, la mission prenait des allures de vengeance, il fallait laver l'honneur de l'armée et vaincre, écraser le FLN et toute volonté indépendantiste.
Il faut donc comprendre la stupeur des troupes appelées, dont le service militaire a été prolongé plus que de raison, quand le Général De Gaulle a annoncé le recours à l'autodétermination et le possible départ d'Algérie de la France. Des militaires ont alors désertés et pris les armes, à la fois contre les civils musulmans, mais aussi contre l'armée, la police française ou les Français d'Algérie. Ainsi naissait, dans les très grandes lignes, l'OAS, l'Organisation de l'armée secrète.
J'ai rarement lu un texte avec autant de détails sur l'OAS ou même sur cette guerre (pas que je sois une experte absolue du sujet). La précision de l'auteur est chirurgicale. Le fait que l'on traite peu de l'OAS dans la littérature donne un peu l'impression qu'on ne veut pas trop en parler justement, de cette armée secrète qui a mis le feu aux poudres. Dans les livres ou magazines dédiés à cette guerre, on passe un peu rapidement des Accords d'Evian en mars 1962, à la résistance de l'OAS et à ses actes terribles, puis au départ des pieds-noirs en juillet 1962.
On sait qu'environ 1 million de pieds-noirs ont dû s'exiler et tout laisser derrière eux. On sait qu'il y a eu des victimes parmi les civils européens et musulmans, entre 300.000 et 400.000 chez ces derniers, voire plus vu le nombre de disparus. On sait que des millions de musulmans ont été parqués dans des camps, que des milliers d'appelés ont trouvé la mort en Algérie, que l'armée a lâchement abandonné 60.000 harkis qui ont ensuite été massacrés (lire "L'Art de perdre" d'Alice Zeniter), on sait que des essais nucléaires et bactériologiques ont été menés par la France au Sahara, on sait tant de choses et pourtant, cela se reproduit ailleurs.
Dans ce roman, les personnages sont majoritairement des membres de l'OAS. Le lecteur assiste aux réunions de l'armée secrète, aux actes de sabotage, de rébellion, de barbarie, de torture... Le texte est dur. On sent une volonté de n'omettre aucun détail, de ne pas épargner le lecteur. Pourquoi l'épargner en enjolivant les choses, en taisant certains détails puisque cela a été. On sait qu'on larguait des musulmans au-dessus de la Méditerranée, on sait pour les corvées de bois, on sait pour la gégène, les mutilations, les viols (lire "Djamila Boupacha" de Gisèle Halimi, "La question d'Henri Halleg et La villa Susini d'Henri Pouillot). On sait que les civils ont également fait preuve de barbarie (lire "L'embuscade de Palestro" de Raphaëlle Branche).
Tout cela est abordé dans ce roman qui prend des airs de grand texte historique, avec des encarts de presse qui apportent du contexte au lecteur, un glossaire pour expliquer les rôles des uns et des autres, des précisions dans toutes les scènes. Certaines phrases sont tellement riches de détails, qu'une personne n'ayant aucune connaissance de cette guerre pourrait s'y perdre. Parfois, on ne sait plus ce qui est fiction et ce qui est réalité. La frontière est toujours mince.
Vincent Ejarque nous propose aussi des scènes d'amour, un amour en temps de guerre, qui me fait penser au roman de Jean d'Ormesson "Un amour pour rien". Il faut en effet parfois permettre au lecteur de reprendre son souffle. Mais la guerre revient vite au fil des pages... Les victimes des attentats, de la rue d'Isly, du métro Charonne, tout y est et c'est terrifiant. Ce roman nous permet de mieux comprendre les motivations profondes de l'OAS, ses rouages, ses soutiens (lire la BD "Les Pieds-Noirs à la mer" de Fred Neidhardt). Un naufrage inéluctable, celui de la colonisation, la fin d'un monde.
Ces citations du roman "Les spectres d'Alger" sur le guerre d'Algérie de Vincent Ejarque
"De Gaulle avait menti aux Français d'Algérie en leur garantissant la permanence de la colonisation, la sauvegarde de leur suprématie légale, le développement du pays dans la concorde et le progrès social. Il avait menti aux militaires en leur confiant des missions qu'il savait foncièrement inutiles puisque la reconquête du territoire n'ayant pu s'opérer, les frontières avaient été électrifiées, les populations civiles déplacées et le FLN pourchassé sans réelle efficacité opérationnelle, les buts politiques étant incertains."
"Un soldat entame son agonie le jour de son incorporation. Il devient littéralement mort-vivant puisqu'il est un mort en sursis."
"- De Gaulle et le FLN ont mis du temps à tomber d'accord sur le devenir du Sahara. Paris était prêt à lâcher l'Algérie historique aux Arabes, villes et pieds-noirs inclus, mais souhaitait conserver la main sur le Sahara.
- Pour les essais nucléaires...
- Oui, bien sûr : pour les essais nucléaires, mais, surtout, pour le pétrole."
"L'écriture est quelque chose de trop intime pour que le premier venu, fût-il un expert chevronné ou pire, un ami, puisse parasiter les intentions premières."
"Des morts pour l'exemple. Des morts pour rien. Mais des morts quand même."
"L'Algérie m'a offert le luxe de regarder plus ou moins la mort en face, dans un décor souvent magnifique et en assez belle compagnie."
"Le romantisme dont ils se parent n'estompe pas l'horreur des crimes qu'ils commettent."
"Avec l'interdiction de sortie du territoire des personnes et des biens, l'OAS s'arrogeait une fonction régalienne."
"Pour que la lumière passe, dans un sens comme dans l'autre, il faut des failles."
"La délation, cette passion française..."
"Les Français d'Algérie étaient en état de choc. La rue d'Isly, c'était le signal de l'exode."