"Nos pères, nos frères, nos amis", dans la tête des hommes violents est le livre d'une enquête de Mathieu Palain sur les violences conjugales sorti en 2023 (Editions Les Arènes). Voici un avis de lecture et des citations choisies de ce livre dont je ne me remets pas trop.
C'est au tout début de l'année 2023, dans une librairie parisienne, que je découvre ce livre. Ce qui m'interpelle, ces mots, noir sur blanc : "Dans la tête des hommes violents", puis je lis : "Nos pères, nos frères, nos amis". Je me sens attirée par ce sujet. Sans trop savoir pourquoi si ce n'est que moi aussi, je voudrais comprendre ce qu'il se passe dans la tête des hommes violents, nos pères, nos frères, nos amis. Ceux qui vous mettent une droite, ceux qui vous nient vos droits de femme, ceux qui peuvent finir par vous tuer. Dans la rue, les pancartes de féminicides. Dans la presse, le comptage morbide du nombre de femmes tuées par leur conjoint ou ex-conjoint depuis le début de l'année.
Alors, je ne le touche pas ce livre. J'attends le bon moment, peut-être, pour l'emporter avec moi et le lire. Lorsque je reviens quelques semaines plus tard, fin prête à l'acheter, il est en rupture de stock, car il s'est bien vendu ce livre. Diantre ! Que faire ? Le commander en ligne ? Hors de question, je passe commande et attends 4 jours de le recevoir chez le libraire, Ce livre nous propose une immersion dans la tête des hommes violents... Un plongeon dans une eau trouble et glacée.
Une enquête et un podcast sur la violence
En attendant de l'avoir entre les mains, j'écoute le podcast sur France Culture. J'ai la nausée. Et je comprends l'importance de donner la parole à ces hommes, d'essayer de comprendre ce qui rend violent, ce qui déclenche la ruée de coups sur des objets, comme sur des personnes.
Dans le podcast, on entend le témoignage d'une jeune femme jugée après s'être pris une raclée par son mec à qui elle a avoué une infidélité. Celle-ci est envoyée dans le stage "Responsabilité pour les violences conjugales", entourée d'hommes, car elle est considérée à la fois comme victime et coupable. J'écoute chaque épisode avec cette question : qu'ont-ils dans la tête ? Pourquoi tant de colère et de violence ? De Mathieu Palain, je n'ai rien lu d'autre. Au boulot, on me vante son livre, "Ne t'arrête pas de courir" sur un sprinteur-cambrioleur, qui a reçu un prix littéraire. Peut-être ma prochaine lecture de ce journaliste.
Dans cette enquête sur les hommes violents, il livre des témoignages et s'interroge aussi sur son rapport aux femmes, suite au mouvement #metoo, et se rend compte de ce que les femmes de sa vie subissent ou ont subi par le passé. Il se pose alors également la question de son comportement, de sa masculinité, de l'éducation.
Le féminisme est l'affaire de tous, "nous sommes tous féministes", comme l'écrit Chimamanda Ngozi Adichie que j'admire. Le féminisme n'enferme personne, il accepte les différences, rejette et combat les injustices. J'ai lu qu'on ne peut pas parler d'humanisme, je trouve tout de même que c'est lié. A lire de toute urgence, les textes de Gisèle Halimi pour mettre fin aux débats stériles sur le féminisme qui serait "un combat d'hier" ou une "chasse aux hommes" et j'en passe. Parce que le féminisme, c'est combattre les inégalités, ce n'est pas critiquer monsieur qui aime le barbecue et madame qui ne veut pas s'épiler les dessous de bras. Et nier l'existence d'inégalités, c'est prouver qu'elles existent. Martin Luther King Jr, nous parlait si justementde justice et d'injustice dans une sublime lettre que je vous recommande. "Une loi injuste n'est pas une loi", épicétou. Et il faut les révéler de manière non-violente.
Le mécanisme de la violence conjugale, Dans la tête des hommes violents de Mathieu Palain
Avec ce livre, ce qu'on retient, c'est le mécanisme de la violence, le moment où tout dérape, celui où part la première baffe, celui où l'homme étrangle. Ce moment où il se sert de sa force pour dominer l'autre, le punir. Une illusion de pouvoir. Il faut le comprendre pour le canaliser, si cela est possible.
Il est souvent question de liberté, de contraintes dans le couple, un déclencheur, tout comme l'alcool et certainement la drogue. Le couple ne va pas de soi, Romain Gary lui redonne sa noblesse dans "Clair de femme" que je vous recommande également. Cette quête de liberté à tout prix, nous fait oublier l'importance de l'autre, et presque son existence. Comme si hors de soi, de ses pulsions, il n'y avait plus rien d'autre au monde. "Personne ne m'interdit quoi que ce soit, personne ne me parle comme ça. Personne car je fais ce que JE veux!".
D'où vient cette violence qui naît dans la tête et commande aux bras de taper, aux doigts de serrer ? L'auteur, journaliste, met en avant une piste, elle est transmise comme un virus. Un enfant ayant assisté ou subi de la violence à plus de risques de devenir violent, de reproduire, qu'un autre. Il raconte aussi la pathologie des liens amoureux, ces liens qui finissent par vous blesser, car deux vécus se rencontrent, avec les souffrances du passé, les drames, les traumatismes. Et cela peut aller loin, ces déchirements... jusqu'à ce que mort s'en suive. L'amour jusque la mort nous sépare donc.
On peut ici penser à un autre thème, celui des manipulateurs, qui sont violents par leurs paroles, leurs actes, leurs silences. Un thème abordé en BD par Sophie Lambda suite à sa relation avec un manipulateur. La violence, qu'elle soit verbale ou physique peut avoir des conséquences terribles sur une personne. Le silence est également une forme de violence psychologique, btw. Je vous remets ici le "violentomètre" qui peut servir à toutes et tous.
Un système dépassé?
Après cette lecture, on se rend compte que le système n'arrive pas à canaliser toute cette violence, qu'il y aura des rechutes. Certains finissent par comprendre, qu'il ne sert parfois à rien de lutter, par principe ou pour montrer qui est le plus fort. Mais ils sont à la marge.
Alors l'amour à quoi ça sert, si c'est pour que ça finisse aussi mal ? Certains renoncent, pas forcément pour les bonnes raisons. De peur peut-être de recommencer. Car ces femmes libres, ces femmes à qui on rend des comptes, mieux vaut les éviter pour ne pas retomber. Ils parlent de provocation, se soutiennent entre mecs, "elle l'a bien cherché". "Si j'avais voulu la frapper, je lui aurais cassé la mâchoire ou alors elle ne serait pas là pour en parler". Des phrases normales quoi. Tout va bien dans le meilleur des mondes. Masculinité toxique qui bouffe tout de l'intérieur.
Il est question de rôle, de place, de masque. "J'ai le droit d'aller en boîte, pas elle". "Elle me prend la tête parce que je vais boire avec mes potes et que je rentre tard." Le couple est vécu comme une prison. La femme comme un fardeau et une possession. Il y a peut-être des manipulatrices, des femmes violentes, car cela existe, on en parle aussi dans la presse, de ces faits divers d'hommes battus ou tués par leur compagne, mais tout de même moins souvent.
Les chiffres restent sans appel sur la violence faite aux femmes, l'association Noustoutes donne des chiffres clé.
En moyenne :
94 000 femmes sont victimes de viol ou tentatives de viol chaque année
213 000 femmes sont victimes de violences physiques ou sexuelles de la part de leur conjoint ou ex-conjoint chaque année
on compte un féminicide tous les deux jours, avec plus d'une centaine par chaque année...
Ces chiffres varient d'une année à l'autre, à la hausse ou à la baisse, mais c'est toujours trop. Il faut aller à la racine du mal. Ce qu'essaie de faire Mathieu Palain dans cette enquête. Et il donne également la parole aux femmes battues, avec cette question : comment s'en sortir ?
La violence du couple
Tout le sujet du livre est la violence au sein des couples. La sphère intime concerne la justice. Il faut faire le ménage, et traiter le problème à la source, dès l'enfance. Que les parents ne violentent pas, ils ont une responsabilité immense. Que la société condamne la violence plus fermement aussi, pas uniquement celle de la rue, celle des couples, mais celle que l'on voit partout. Devant certains films, n'ai-je pas été trop souvent mal à l'aise devant des scènes de viol, de gifle ou autre belle démonstration de violence, qui arrivaient comme ça, presque sans raison.
Voici quelques citations pour vous faire une idée sur cette enquête. J'en ai fait un article au Parisien si vous souhaitez l'acheter. Parce que je pense que c'est un livre d'utilité publique. Il va droit au but après 4 ans d'enquête, d'écoute, à poser des questions, participer à des groupes de parole avec ces hommes condamnés qui ne savent pas pourquoi ils sont là et ce qu'on leur reproche. C'est eux les victimes du système, "on peut plus rien dire ou faire aujourd'hui et ça prend des proportions inouïes" selon eux, parce que ce sont des hommes. Pas vrai que les hommes en sont les premières victimes ? Ils sont victimes d'eux-mêmes, ou de féministes enragées comme j'entends parfois. "Le féminisme, ça va trop loin". Alors on nous sort des articles qui montrent que même les femmes n'y croient pas. Histoire de démontrer que le sujet n'est pas majeur. Pendant ce temps, les femmes sont effacées en Afghanistan, en Iran et luttent pour leur vie. Oui, là ça va trop loin. Que les hydres des femmes s'abattent sur des hommes violents, manipulateurs, qui n'ont "rien fait de répréhensible", mais ne respectent personne, pas même leur personne, à la rigueur, cela se comprend. Que cela s'abatte sur tous les hommes, moins, évidemment.
A la lumière de cette lecture et des éléments précités, on peut aussi comprendre le succès du film La Nuit du 12 qui a raflé 7 prix lors des César 2023, dont ceux du meilleur film et du meilleur réalisateur. Un film sur une histoire vraie, d'un féminicide non-élucidé, glaçant.
En cas de violence, composez le 3919. Si vous entendez des voisins se battre, appelez la police. On ne sait jamais. Et n'hésitez pas à faire lire ce livre à vos proches ou des hommes qui peuvent interroger leur masculinité avec ces mots justes, en plus les mots d'un homme, devenu père d'une petite fille et qui se demande ce que le monde lui réserve comme joyeuseté si on n'évolue pas plus vite sur le sujet.
Citations de ce livre de Mathieu Palain
"Envisager la relation avec cette angoisse au ventre, c'est partir du principe que la terre est peuplée de mantes religieuses, et que tout ce qui les intéresse dans l'amour, c'est le repas qu'elles feront de vous, juste après. Ça doit être difficile d'avoir si peur des femmes tout en voulant coucher avec."
"Il paraissait tellement handicapé par des principes qui le dépassaient."
"Ce qui génère la violence, souvent, c'est la pathologie du lien."
""T'es pas un homme si tu laisses trop de liberté", comme s'il lui fallait colmater son bloc de certitude, de peur qu'à la moindre infiltration, le barrage cède."
"Ils continuent de se penser comme victimes et uniquement comme victimes. Ils n'ont pas d'empathie..."
"J'étais venu dans l'espoir d'entendre une phrase fantasmée et j'ai fini par l'oublier, à force de nager dans un flou étranger : les conjointes étaient démoniaques, les violences abstraites, les coups invisibles."
"C'est facile de s'épargner, de ne jamais se poser de question. Mais faites le test. Si vous êtes un homme, demandez-vous honnêtement si vous n'exercez jamais de rapport de domination sur les femmes de votre entourage."
"C'est vrai, on a honte de dire "je t'aime", de dire, "je me suis trompé, excuse-moi". On a honte de le faire, et aussi bizarre que cela puisse paraître, cette honte peut se transformer en agressivité et en violence."
"Le truc avec la violence conjugale, c'est qu'on ne se sent pas concerné."
"-La violence fait partie de la condition humaine, lui répond le psy. On ne peut pas la supprimer, mais on peut la canaliser. La contrôler.
-Il y a beaucoup de choses qui se jouent dans l'éducation, ajoute sa collègue. L'enfant apprend avec ce qu'il voit. S'il n'y a pas de violence dans la famille, il a peu de chances d'attraper le virus. C'est un peu comme la grippe : si votre père tousse toute la journée, vous allez tomber malade. Le virus de la violence se développe chez l'enfant parce qu'on l'a conditionné à tolérer la violence."
"La violence pénètre votre cerveau une fois que vous y avez été exposé. Et ensuite vous copiez, parce que nous sommes des machines à copier. Enfant, adolescent, on suit les copains, les voisins, les influences."
"On ne grandit pas seul mais dans un bain d'influences".
"Nathalie note quelques chiffres au tableau : 58% de la communication entre deux personnes passe par la gestuelle, 35% par la voix, et seulement 7% par les mots."
"Le fait d'être un enfant, ou une femme, vous expose à des hommes qui vont vouloir vous dominer, vous faire du mal. Le fait d'avoir vécu une agression, d'avoir appris à se taire, à laisser faire, à vivre avec, vous conduit à moins de méfiance. Je pense que les hommes violents repèrent ça."
"Il s'en juge tous les jours, des affaires de violences conjugales."
"C'est la confrontation du traumatisme de l'un au traumatisme de l'autre qui crée la violence."