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Photo du rédacteurMarion Marten-Pérolin

Quand tu écouteras cette chanson de Lola Lafon, ou l'absence d'Anne Franck

Anne Franck et son Journal, tout le monde en a entendu parler, certains l'ont étudié, d'autres l'ont survolé et l'ont oublié. Dans la collection "Ma nuit au musée" de chez Stock, on peut découvrir la nuit de Lola Lafon dans la Maison Anne Franck à Amsterdam. Un texte touchant, intime et universel publié en 2022, qui a reçu le prix Les Inrockuptibles et le prix Décembre. Découvrez des citations du livre "Quand tu écouteras cette chanson" et un avis de lecture pour ne jamais oublier...

Quand tu écouteras cette chanson de Lola Lafon, ou l'absence d'Anne Franck
Quand tu écouteras cette chanson de Lola Lafon, ou l'absence d'Anne Franck

"Les hommes sont complices de ce qui les laisse insensibles". Cette citation de George Steiner introduit le livre de Lola Lafon. On ne s'imagine pas ce que c'est de vivre deux ans dans un grenier avec sept autres personnes. De retenir son souffle au moindre bruit du dehors, de ne pas pouvoir sortir, d'apercevoir seulement un bout du ciel par une fenêtre. On ne peut concevoir l'affreuse réalité des hommes qui chassent d'autres hommes pour les exterminer, enfants et adultes. Pourtant, ceci n'est pas une fiction. Si le destin d'Anne Franck nous touche autant, c'est peut-être parce qu'on ne peut pas concevoir cette affreuse réalité. Mais, "il faut essayer d'imaginer", nous dit Lola Lafon dans son livre "Quand tu écouteras cette chanson"... Il faut essayer d'imaginer, transmettre la mémoire et nous ne seront pas complices.


Comment peut-on envoyer dans un camp de la mort une fille de 14 ans et sa soeur, parce qu'elles sont juives? Comment peut-on collaborer avec un régime totalitaire et livrer en pâture des familles entières ? Certains hommes le peuvent. Ils peuvent également rafler des enfants à Paris, on peut alors penser au livre de Tatiana de Rosnay "Elle s'appelait Sarah" qui revient sur la rafle du Vel d'Hiv en 1942. Ils peuvent trouver des solutions finales pour faire disparaître leur prochain. Ils sont capables de faire la guerre jusqu'à ce que mort s'ensuive un peu partout dans le monde. Que l'on soit juif ou non. C'est ce qui est le plus terrible. Cette folie humaine frappe à toutes les portes, à toutes les époques. Et les politiques la rendent légitime pour qu'elle serve leurs ignobles projets.


Quand tu écouteras cette chanson de Lola Lafon, mon avis de lecture


Dans cet essai, Lola Lafon se livre aux lecteurs. Elle veut que tout le monde se souvienne d'Anne Franck, de la Shoah et des atrocités commises contre les Juifs. Elle revient sur sa judéité et sur sa famille, ses origines. Lola Lafon présente son projet littéraire, sa nuit au musée, ses hésitations à entrer dans la chambre d'Anne Franck et ses rencontres. Avec de nombreuses références littéraires et historiques, elle analyse l'histoire dans l'Histoire. Cela pourrait être un livre mémoriel sur l'Holocauste. C'est bien plus que ça. C'est un récit dans le récit, elle raconte Anne Franck, se raconte et nous confie un de ses morts. Pour qu'on n'oublie pas.


Difficilement, elle parle de ces souvenirs qu'on ne veut pas toucher. Elle parle de plusieurs lettres écrites par un adolescent rencontré en Roumanie lorsqu'elle était enfant. Le destin de cet ado est-il différent de celui d'Anne Franck ? N'est-ce pas, de nouveau, la même folie humaine qui frappe les chrétiens, les profs, les diplomates et les personnes à lunettes au Cambodge avec les Khmers rouges au pouvoir ? C'est ce parallèle qui rend le texte de Lola Lafon si puissant. Dans le même temps, elle rend hommage à ses grands-parents, à sa mère. Ceux qui ont tout perdu, sauf la vie, pendant le Seconde Guerre mondiale, ces survivants.


Quelle est la chanson dans le roman de Lola Lafon ?


Jusqu'à la fin du livre, je me demandais :"pourquoi ce titre?", "Quand arrive-t-elle cette chanson ?", "De quelle chanson s'agit-il ?". Et là, tout apparaît, d'un coup, la lettre, la beauté, la tristesse.


Pour ne pas gâcher votre lecture, je ne vais pas tout expliquer, en revanche, je peux vous mettre sur la piste des Bee Gees... Cette chanson, il faut la mettre très fort, la chanter à tue-tête pour Lola Lafon, pour ceux qui ne sont plus, pour nous aussi. Et il faut lire, écrire, pour ne pas oublier, pour essayer de mettre des mots sur ce qui n'est plus. En ce sens, l'essai de Lola Lafon est intéressant. Il interroge sur la mémoire, sur le travail de l'écrivain, sur les difficultés de l'écriture et du souvenir.


Ecrire ne va pas de soi. On ne sait pas où l'on va en commençant une phrase, un livre. Quelle sera la suite ? Pourquoi écrire un livre sur la Maison Anne Franck ? Il n'y a pas vraiment de raisons objectives, il n'y qu'une nécessité qui dépasse l'autrice. Son texte à peine écrit ne lui appartient déjà plus. Un peu comme le Journal d'Anne Franck qui passe de main en main, qu'on étudie à l'école, qu'on joue au théâtre qu'on adapte au cinéma... Déjà, il n'est plus le même ce Journal. On gomme les phrases gênantes, encombrantes. On choisit des phrases, çà et là, on en oublie le reste, l'essentiel.


Certains affirment même que rien n'a existé, qu'Anne Franck n'a pas écrit de journal, qu'elle est une invention. Les négationnistes. Nier l'existence et les souffrances des autres est un trait de cette folie humaine. C'est d'ailleurs à tous ces efforts déployés pour prouver que rien n'est vrai que l'on se rend compte de la vérité qu'ils tentent de cacher. Il y a peut-être des explications rationnelles à cela, peut-être aussi beaucoup d'explications irrationnelles, inconscientes. Nier la souffrance des autres ou l'existence d'inégalités, c'est prouver qu'elles existent.


On ne peut arrêter le temps, la vérité se révèle toujours, tôt ou tard. Et ceux qui refusaient de la voir, ceux qui détournaient le regard pourront se raconter de belles histoires pour se sauver la face et rester debout. Ils étaient du mauvais côté de l'Histoire. Dans un rôle médiocre, comme eux. Ils étaient complices.


Ces citations du livre "Quand tu écouteras cette chanson"


"A-t-on pour toujours l'âge auquel on cesse de vivre."


"Certains rencontres commencent au moment où on se quitte, quand le temps presse. Alors les mots battent au coeur de l'essentiel."


"Ce livre, nous en connaissons la fin ; l'autrice, elle, l'ignore."


"C'est le vide qui transforme cet appartement en musée."


"S'habitue-t-on à être en danger?"


"Je sais l'histoire de ces familles élevées dans l'amour d'une France de fiction, celle d'Hugo, de Jaurès et de la Déclaration des droits de l'homme. (...) Et l'histoire que je connais est un récit troué de silences."

"Le ravage dans ma famille, s'est transmis comme ailleurs la couleur des yeux."


"Un roman ne peut être transparent, il est tissée de doutes et de solitude, celle de l'écrivain qui lui a consacré son temps. Un roman ne vend pas, il propose."


"Les Pays-Bas ne se contentent pas d'obéir aux ordres de l'occupant, ils participent activement à la mise en place de mesures antijuives."


"Ecrire n'est pas tout à fait un choix : c'est un aveux d'impuissance. (...) Pourquoi écrit-on ? Peut-être est-il possible de répondre par la négative : ne pas écrire met à vif toutes les failles, alors on écrit."


"Certains vont à la rencontre de leur vie, ils s'en saisissent, d'autres se tiennent légèrement de biais, ils l'écrivent."


"Peut-être commence-t-on parfois à écrire pou faire suite à ce qu'on a perdu, pour inventer une suite à ce qui n'est plus."


"Nous sommes les enfants des romans que nous avons aimés, ils se déposent au creux de nos peines, de nos manques, ils contiennent tout ce qui se dérobe à nous, qui passe sans qu'on ait pu le comprendre, nous sommes faits d'histoires qui ne nous appartiennent pas, elles nous irriguent et nous hantent..."


"C'est en écrivant ce que je vis que je comprends ce que je vis."


"Les sociétés se constituent sur ce qu'elles privilégient comme récit à transmettre."


"Les extraits choisis des textes qu'on porte aux nues révèlent ce que nous désirons en retenir."


"Ils ont fait de l'oubli un savoir. Ils ont prêté allégeance à l'amnésie."


"Comment marché sur des traces sans les effacer?"


"Sa disparition nous fait découvrir ce malaise inexprimable qu'en roumain on appelle le 'dor', un mélange doux-amer de nostalgie, de mélancolie et de joie, celle d'avoir aimé.


"Ecrire est un geste d'emport obstiné, la preuve d'une espérance insensée."






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